Tuesday, December 30, 2008

Qu'est-ce que le vrai Crédit Social? Au-dessus des partis politiques

Louis Even

Contrairement à une idée trop répandue au Canada, le Crédit Social n'est nullement un parti politique.

Le Crédit Social est une doctrine, un ensemble de principes énoncés pour la première fois par le major et ingénieur C.-H. Douglas, en 1918. La mise en application de ces principes ferait l'organisme économique et social atteindre efficacement sa fin propre, qui est le service des besoins humains.

Le Crédit Social ne créerait ni les biens ni les besoins, mais il éliminerait tout obstacle artificiel entre les deux, entre la production et la consommation, entre le blé dans les silos et le pain sur la table. L'obstacle aujourd'hui, au moins dans les pays évolués, est purement d'ordre financier — un obstacle d'argent. Or, le système financier n'émane ni de Dieu ni de la nature. Etabli par des hommes, il peut être ajusté pour servir les hommes et non plus pour leur créer des difficultés.

A cette fin, le Crédit Social présente des propositions concrètes. Fort simples, ces propositions impliquent cependant une véritable révolution. Le Crédit Social ouvre la vision sur une civilisation d'un aspect nouveau, si par civilisation on peut signifier les relations des hommes entre eux et des conditions de vie facilitant à chacun l'épanouissement de sa personnalité.

Sous un régime créditiste, on ne serait plus aux prises avec les problèmes strictement financiers qui harcèlent constamment les corps publics, les institutions, les familles, et qui empoisonnent les rapports entre individus. La finance ne serait plus qu'un système de comptabilité, exprimant en chiffres les valeurs relatives des produits et services, facilitant la mobilisation et la coordination des énergies nécessaires aux différentes phases de la production vers le produit fini, et distribuant à TOUS les consommateurs le moyen de choisir librement et individuellement ce qui leur convient parmi les biens offerts ou immédiatement réalisables.

Pour la première fois dans l'histoire, la sécurité économique absolue, sans conditions restrictives, serait garantie à tous et à chacun. L'indigence matérielle serait chose du passé. L'inquiétude matérielle du lendemain disparaî­trait. Le pain serait assuré à tous, tant qu'il y a assez de blé pour assez de pain pour tous. De même pour les autres produits nécessaires à la vie.

Cette sécurité économique, chaque citoyen en serait gratifié comme d'un droit de naissance, à seul titre de membre de la communauté, usufruitier sa vie durant d'un capital communautaire immense, devenu facteur prépondérant de la production moderne. Ce capital est fait, entre autres, des richesses naturelles, bien col­lectif; de la vie en association, avec l'incrementum qui en découle; de la somme des découvertes, inventions, progrès technologiques, héritage toujours croissant des générations.

Ce capital communautaire, si productif, vaudrait à chacun de ses copropriétaires, à chaque citoyen, un dividende périodique, du berceau à la tombe. Et vu le volume de production attribuable au capital commun, le dividende à cha­cun devrait être au moins suffisant pour couvrir les besoins essentiels de l'existence. Cela, sans préjudice au salaire ou autre forme de récompense, en plus, à ceux qui participent personnellement à la production.

Un revenu ainsi attaché à la personne, et non plus uniquement à son statut dans l'embauchage, soustrairait les individus à l'exploitation par d'autres êtres humains. Avec le nécessaire garanti, un homme se laisse moins bousculer et peut mieux embrasser la carrière de son choix.

Libérés des soucis matériels pressants, les hommes pourraient s'appliquer à des activités libres, plus créatrices que le travail commandé, et poursuivre leur développement personnel par l'exercice de fonctions humaines supérieures à la fonction purement économique. Le pain matériel ne serait plus l'occupation absorbante de leur vie.

Mais, si logiques, si sociales et si respec­tueuses de la personne humaine que soient les propositions du Crédit Social, elles brisent radi­calement avec des notions généralement reçues et considérées comme tangibles et intangibles.

C'est pourquoi le Crédit Social ne peut pas résulter d'un simple changement de parti au pouvoir. On n'impose pas une civilisation nouvelle par une élection. Il faut d'abord la faire connaître, la faire désirer, la faire rechercher par la population. Et puisqu'il s'agit d'une civilisation créditiste, disons qu'il faut d'abord développer une mentalité créditiste, faire prévaloir une attitude d'esprit favorable à la vision présentée par le Crédit Social.

Le problème n'est donc pas de mousser un parti politique, mais de faire connaître, aimer et désirer le Crédit Social.

D'ailleurs, la seule conception de parti contredit la philosophie du Crédit Social. Les partis existent pour essayer de prendre le pouvoir et ne s'agitent bien que lorsque est ouverte la lutte pour le pouvoir. Le Crédit Social, lui, distribuerait le pouvoir le plus largement possible entre tous les membres de la société. Le pouvoir économique, par un pouvoir d'achat garanti à chaque individu. Le pouvoir politique, en faisant des députés les représentants réels de leurs électeurs, et non plus les domestiques d'un parti.

Il faut que les électeurs apprennent à exprimer leur volonté commune en tout temps. C'est entre les élections que se prennent les décisions qui affectent la vie des citoyens. Se contenter de voter pour un candidat de parti, puis accep­ter passivement tout ce qui se décide sans l'avis de ceux qui doivent faire les frais des décisions, c'est de l'infantilisme politique.

Le parti crée une muraille

(Journal Vers Demain, 1er janvier 1957)

N'importe quel groupe ou mouvement qui s'occupe de la question sociale gagnerait beau­coup à connaître et assimiler les principes du Crédit Social.

N'importe quel représentant du peuple, individuellement, à quelque parti politique qu'il appartienne, s'il veut véritablement la promotion du bien commun, ne devrait pas hésiter à réclamer une répartition adéquate de la richesse, respectant la liberté personnelle, la propriété et l'entreprise privées. Ce qu'il peut faire tout en demeurant dans le parti qu'il juge le plus apte à administrer le pays.

Mais nous voyons mal qu'une idée maîtresse comme le Crédit Social, qui transcende les partis politiques, qui les enrichirait tous, soit en quelque sorte clôturée sous le nom d'un parti politique. Le Crédit Social est un universel. Un parti politique est une part, un morceau. Appeler un parti «Crédit Social», c'est vouloir enchaîner un universel dans un limitatif.

Du moment où vous faites des mots Crédit Social le nom d'un parti politique, vous excluez la possibilité pour un membre d'un autre parti de se déclarer pour le Crédit Social: ce serait se déclarer pour un parti concurrent. Il vous objectera: Je ne puis pas être en même temps de mon parti et du parti Crédit Social.

Et si la population est habituée à penser à un parti politique quand elle entend les mots «Crédit Social», vous risquez fort de trouver des oreilles distraites, sinon bouchées d'avance, quand vous voulez présenter le Crédit Social à des auditeurs d'un autre parti.

Le but d'un parti politique, c'est de rester au pouvoir s'il y est, ou de tendre au pouvoir s'il n'y est pas. Il y a donc nécessairement lutte entre les partis politiques. Chaque parti est adversaire de l'autre ou des autres. Appeler un parti «Crédit Social», c'est durcir les adhé­rents de tous les autres partis contre tout ce qui porte nom Crédit Social.

Puis on ne soumet pas une vérité au vote. Faire du Crédit Social le sujet d'un vote, c'est se faire dire après un échec: «Vous voyez bien que ce n'est pas bon comme vous dites, puisque le peuple a voté majoritairement contre cela.»

* * *

On nous demandera peut-être: Comment allez-vous faire adopter une législation créditiste si le parti au pouvoir n'est pas créditiste?

Nous croyons que le Crédit Social prévaudra partout, même dans les partis politiques, au pouvoir comme dans l'opposition, lorsqu'il aura été suffisamment accepté dans les esprits et demandé par la population elle-même. C'est ce à quoi s'appliquent les Pèlerins de saint Michel. Et c'est justement pour ne pas dresser des murailles entre le Crédit Social et les esprits, encore trop habitués à ne penser poli­tique qu'en fonction de partis, que nous ne voulons point voir l'idée de Crédit Social liée à l'idée de parti.

Michael Journal